Conan est un jeu de stratégie à figurines basé sur l'univers créé par Robert E. Howard et en particulier sur son héros le plus connu Conan le Barbabre. La plupart des écrits de Robert Howard sont dans le domaine public, en particulier l'essentiel des nouvelles concernant Conan (en anglais).

Je me propose d'analyser « mathématiquement » le jeu dans une série de notes. Je mets mathématiquement entre guillemets car la complexité du jeu ne se prête pas à une analyse complète. Même pour des jeux simples, ces analyses sont extrêmement difficiles à réaliser. J'analyserai donc le jeu à mon niveau, en isolant certains aspects puis en compliquant progressivement le modèle simplifié pour m'approcher du jeu réel. Dans cette première note, j'étudie les combats dans une version très simplifiée (sans les relances et sans la défense active).

Principes généraux du jeu

Je ne vais pas entrer ici dans le détail des règles. Elle sont disponibles sur le site de l'éditeur. Je mentionnerai progressivement les éléments utiles pour l'analyse du jeu.

Conan met en scène un affrontement entre Conan et ses alliés d'une part, et un ensemble de d'adversaires, d'autre part. Chaque héros (Conan et ses alliés) est joué un par joueur, alors que l'ensemble des adversaires est contrôlé par un unique joueur, l'overlord. Le jeu est complètement dissymétrique, à la fois au niveau de l'organisation basique (un héros par joueur, un overlord pour jusqu'à une vingtaine d'adversaires) mais aussi dans certains mécanismes (les héros jouent sans ordre particulier alors que l'overlord utilise un mécanisme complexe de « rivière » pour activer ses troupes).

Les affrontements sont fortement scénarisés. Un scénario précise le terrain à utiliser (sous forme d'un magnifique plateau de jeu muni de zones), les héros disponibles (Conan et une sélection d'autres personnages), leurs équipements, les règles spécifiques (notamment les conditions de victoires), les troupes de l'overlord, la disposition de tout ce petit monde sur le plateau, etc.

Comme pour tous les jeux asymétriques, obtenir un équilibre entre les deux camps est très difficile. Mon objectif à terme est d'analyser certains scénarios pour voir s'il a été atteint.

Résolution des combats

Dans Conan, on se tape sur la tronche. L'attaquant lance une brouette de dés, en relance certains pour améliorer son score et obtient ainsi une certaine quantité de dégâts. Le défenseur lance à son tour une brouette de dés, en relance certains pour améliorer son score et soustrait le résultat aux dégâts. Le reste devient des blessures. Le principal mécanisme à analyser mathématiquement est donc celui des dés. Il faut noter que pour réaliser une action dans le jeu, il faut dépenser une ressource qui mesure la vitalité des personnages, les gemmes. Les mécanismes de gestion de ces gemmes sont aussi à analyser mathématiquement (ce qui est nettement plus complexe).

Les dés de Conan

Conan utilise trois types de dés à six faces :

les dés rouges
les plus puissants, les valeurs sont : 0, 1, 1, 2, 2 et 3 (c'est-à-dire qu'une face vaut 0, 2 faces valent 1, etc.) ;
les dés oranges
puissance intermédiaire, les valeurs sont : 0, 0, 1, 1, 2 et 2 ;
les dés jaunes
faible puissance, les valeurs sont : 0, 0, 0, 1, 1 et 2.

En faisant l'hypothèse que les dés sont équilibrés, les valeurs moyennes par dé sont donc :

Couleur Rouge Orange Jaune
Valeur moyenne 1,5 1 0,667

En mesurant la variabilité des résultats par l'entropie, on constate que les dés sont d'autant plus variables qu'ils sont puissants, ce qui donne un côté épique aux dés rouges.

Une attaque sans relance

Une attaque consiste simplement à lancer quelques dés d'une (ou plusieurs) couleur(s) donnée(s), avec parfois possibilité de relance. Les couleurs des dés sont déterminées par la force physique du personnage (dés rouges pour Conan) et par son adresse (pour les attaques à distances), ainsi que par les armes utilisées (pour les héros). En général, une arme apporte un dé de plus à l'attaque (parfois deux).

Pour les héros, le nombre de dé de base (hors arme) est sous le contrôle du joueur : chaque gemme dépensée donne accès à un dé, dans des limites dépendant du personnage. Un héros peut donc attaquer plusieurs fois « faiblement » (donc avec peu de dés) ou une seule fois comme un bourrin (qui a dit Conan ?), c'est l'un des aspects stratégiques du jeu.

L'attaque sans relance n'est pas fréquente (la plupart des attaques offre des possibilités de relance et, surtout, les joueurs peuvent dépenser des gemmes pour relancer) mais elle est facile à analyser (justement parce qu'il n'y a pas de relance). Dans cette note, je me contente d'analyser ce cas simple sans relance.

Prenons par exemple un héros faible physiquement comme le magicien Hadrathus et équipons le d'une simple dague. Hadrathus attaque au corps à corps avec des dés jaunes. Il peut dépenser jusqu'à cinq gemmes par tour dans des attaques au corps à corps. Quand il dépense \(n\) gemmes, Hadrathus lance \(n+1\) dés jaunes grâce au bonus de la dague (qui apporte donc un dé jaune).

Les dégâts moyens produits sont alors les suivants en supposant qu'on dépense 5 gemmes (le maximum) :

Nombre d'attaques Dés par attaque Dégâts totaux moyens
1 1 fois 6 4
2 1 fois 3 et 1 fois 4 4,667
3 2 fois 3 et 1 fois 2 5,333
4 3 fois 2 et 1 fois 3 6
5 5 fois 2 6,667

Il est facile de voir que tout se passe comme si on ajoutait des dés (le dé de bonus de la dague) en attaquant plusieurs fois faiblement plutôt qu'une fois comme un Conan. Sauf qu'avec les défenses, les attaques faibles ne font pas de dégât. De ce fait, cette analyse en moyenne ne renseigne pas beaucoup sur les effets des attaques dès qu'on doit prendre en compte les défenses.

Défense passive

Les créatures contrôlées par l'overlord possèdent en général une défense passive fixe. Certains héros possèdent aussi une défense passive fixe contre certaines attaques (la compétence intouchable confère 1 point de défense passive contre les attaques à distance, par exemple). Certains équipements comme les armures confèrent une défense passive aléatoire dont l'effet est déterminé par un lancer de dé.

Considérons l'effet d'une défense passive fixe sur une attaque, avec l'exemple d'un chasseur picte (défense de 1). Le principe, très simple, est que la défense passive est soustraite au total de l'attaque. Avec une défense de 1, la valeur moyenne de l'attaque avec un seul dé est suffisamment faible pour qu'en général on ne touche pas le chasseur. Pour faire une analyse plus précise, il faut utiliser les probabilités d'obtenir chaque résultat possible. Par exemple pour un dé orange, on a :

Valeur du dé 0 1 2
Dégâts 0 0 1
Probabilité \(\frac{1}{3}\) \(\frac{1}{3}\) \(\frac{1}{3}\)

On a donc seulement une chance sur trois de faire un point de dégât, ce qui conduit à un nombre moyen de 0,333 dégât (on remarque qu'on ne peut pas obtenir cette valeur en prenant le nombre moyen de dégât et en enlevant 1).

Cet effet de réduction des dégâts change complètement la donne pour l'optimisation des attaques. En effet, des petites attaques ont très peu de chance de causer des dégâts et il peut donc sembler plus logique de réaliser des attaques plus puissantes. L'analyse mathématique reste élémentaire, mais fastidieuse. Il faut en effet calculer la probabilité de chaque total de dommage qu'on peut obtenir en fonction des dés lancés, puis appliquer la défense passive, et enfin enchaîner les attaques

Hadrathus contre un chasseur picte

Reprenons l'exemple de notre cher Hadrathus avec sa dague et ses dés jaunes. Comme nous l'avons vu au dessus, Hadrathus peut lancer jusqu'à six dés (en dépensant cing gemmes et en ajoutant le bonus de la dague). Il peut donc faire de 0 à 12 dégâts avant application d'une défense passive. Après quelques calculs, on obtient la table de probabilités suivantes :

Dégâts 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
2 dés 25% 33,333% 27,778% 11,111% 2,778% 0% 0% 0% 0% 0% 0% 0% 0%
3 dés 12,5% 25% 29,167% 20,37% 9,722% 2,778% 0,463% 0% 0% 0% 0% 0% 0%
4 dés 6,25% 16,667% 25% 24,074% 16,512% 8,025% 2,778% 0,617% 0,077% 0% 0% 0% 0%
5 dés 3,125% 10,417% 19,097% 23,148% 20,448% 13,529% 6,816% 2,572% 0,707% 0,129% 0,013% 0% 0%
6 dés 1,563% 6,250% 13,542% 19,676% 21,123% 17,438% 11,325% 5,813% 2,347% 0,729% 0,167% 0,026% 0,002%

Chaque ligne correspond à un nombre de dés et chaque colonne indique la probabilité d'obtenir les dégâts correspondants avec les dés utilisés. Par exemple si Hadrathus lance 4 dés, il a une chance sur quatre de faire 2 dégâts. Il faut noter que les scénarios de Conan sont courts (par exemple huit tours pour le scénario classique du village Picte). Ici, la plupart des grandes valeurs ont des probabilités très faibles d'être observées à la fois lors d'un tirage unique mais aussi dans une partie, voir au cours de 50 parties.

Supposons qu'Hadrathus attaque un chasseur picte. La défense de 1 de ce dernier implique que les deux premières colonnes du tableau ne sont plus à prendre en compte : les dégâts sont trop faibles pour passer la défense. Ainsi si Hadrathus lance 3 dés, sa probabilité de tuer le chasseur (qui n'a qu'un point de vie) est de \(\frac{5}{8}\) alors qu'avec 2 dés, elle descend à \(\frac{5}{12}\). Plus généralement, la probabilité de tuer le chasseur en fonction du nombre de dés est donnée par la table suivante :

Nombre de dés Probabilité de tuer
2 dés \(\frac{5}{12}\simeq 0,42\).
3 dés \(\frac{5}{8}=0,625\)
4 dés \(\frac{37}{48}\simeq 0,77\)
5 dés \(\frac{83}{96}\simeq 0,86\)
6 dés \(\frac{59}{64}\simeq 0,92\)

Comme prévu, cette probabilité augmente avec le nombre de dés lancés. On peut alors combiner ces calculs avec la décomposition possible des cinq gemmes en une à cinq attaques, ce qui permet de calculer la probabilité de tuer le chasseur picte pour chacune des stratégies. On suppose dans ce calcul que le joueur s'arrête dès qu'il a tué le chasseur. De ce fait, s'il commence par exemple par une attaque à 4 dés (trois gemmes) et qu'il rate son coup, il lui reste deux gemmes pour faire une nouvelle attaque à 3 dés cette fois ci. La probabilité de tuer le chasseur par cette opération est obtenue en ajoutant à \(\frac{37}{48}\) (probabilité de tuer directement le chasseur) \((1-\frac{37}{48})\frac{5}{8}\) (probabilité de rater l'attaque à 4 dés mais de réussir ensuite l'attaque à 3 dés. On obtient ici \(\frac{117}{128}\)). En reprenant ces calculs dans les différents cas décrits au dessus, on obtient les probabilités suivantes :

Nombre d'attaques Dés par attaque Probabilité de tuer
1 1 fois 6 \(\displaystyle\frac{59}{64}\simeq 0.922\)
2 1 fois 3 et 1 fois 4 \(\displaystyle\frac{117}{128}\simeq 0.914\)
3 2 fois 3 et 1 fois 2 \(\displaystyle\frac{235}{256}\simeq 0.918\)
4 3 fois 2 et 1 fois 3 \(\displaystyle\frac{4265}{4608}\simeq 0.926\)
5 5 fois 2 \(\displaystyle\frac{232025}{248832}\simeq 0.932\)

Les résultats sont assez surprenants. En effet, la probabilité de réussite des petites attaques (2 dés) est faible et on pourrait donc penser qu'il faut privilégier les grosses attaques. Or, la plus haute probabilité de succès est ici obtenue en réalisant 5 petites attaques. En outre cette suite d'attaque ne va en général pas consommer l'intégralité des cinq gemmes puisqu'on peut obtenir un succès (tuer le chasseur picte) dès la première attaque (qui ne consomme qu'une gemme). On constate que l'analyse en dégâts moyens ne renseigne pas du tout sur ce qui va se passer contre un adversaire avec une défense passive.

Hadrathus contre Zogar Sag

Dans le scénario « Dans les griffes des Pictes », l'un des objectifs des héros est de tuer le magicien Zogar Sag. Celui-ci a une défense passive de 3 et 5 points de vie. Comme il démarre enfermé dans une hutte, Conan ne peut pas l'atteindre dans le premier tour de jeu, puis il peut être défendu ensuite par un serpent géant (ouai…). En pratique, il n'est donc facilement attaquable que par Shevatas le voleur et Hadrathus le sorcier. Évaluons les chances de ce dernier.

Notons que pour atteindre la hutte, Hadrathus doit se téléporter, ce qui lui coûte 5 gemmes. Il démarre donc avec seulement 2 gemmes une fois dans la hutte. S'il ne se repose pas (choix qui le rend vulnérable), il ne disposera que de 2 gemmes par tour, ce qui est très faible en pratique. En effet, Hadrathus peut alors seulement faire une attaque à 3 dés ou deux attaques à 2 dés.

Une attaque à 2 dés ne peut que causer 1 point de dommage (au maximum) et ce avec une probabilité de seulement \(\displaystyle\frac{1}{36}\). Donc deux attaques à 2 dés ont donc une probabilité de \(\displaystyle\frac{1225}{1296}\simeq 0,94\) de ne faire aucun dégât. Sur 8 tours, Hadrathus a plus d'une chance sur deux (\(0,64\)) de ne faire absolument aucun dégât à Zogar Sag. Si on néglige la probabilité de faire 2 dégâts sur les 2 attaques (ce qui arrive une fois sur 1296…), la probabilité de tuer Zogar Sag est de l'ordre de 1 sur 1 million dans cette configuration. Le calcul est un peu plus complexe pour le cas de l'attaque à 3 dés (je le repousse à une prochaine note), mais l'ordre de grandeur dans ce cas est de moins de 3 chances sur 100.

De ce fait, on peut dire que des stratégies simples ne permettent pas à Hadrathus de tuer Zogar Sag, même sans aucune action de l'overlord.

Conclusion provisoire

L'analyse réalisée ici n'est que très partielle puisqu'on néglige un mécanisme crucial, celui de la relance des dés. J'ai aussi négligé l'effet de stratégies avancés qui font économiser des gemmes aux héros pour préparer une grosse attaque. Cependant, on a déjà vu que les grosses attaques ne sont pas très intéressantes sur des adversaires avec une défense passive de 1.

Si vous avez des remarques, questions, suggestions pour la suite, etc. n'hésitez pas à me contacter.

Mises à jour

  • 5 décembre 2016 : petit bug de calcul sur les chances d'Hadrathus contre Zogar Sag.
  • 6 décembre 2016 : amélioration de la présentation du gros tableau de probabilités
  • 2 février 2017 : lien vers suite de l'analyse

Date de publication

1 décembre 2016

Mots clés

Conan

probabilité

jeu de stratégie